
LinkedIn : le réseau des performances symboliques
Il suffit d’y passer dix minutes.
Une success story.
Un témoignage de reconversion inspirante.
Un post où l’on remercie son “équipe formidable”.
Un “coup de gueule constructif” sur la souffrance au travail.
Parfois même : un burn-out en trois paragraphes, suivi de “10 leçons apprises”.
LinkedIn n’est pas seulement un réseau professionnel.
C’est un dispositif de mise en scène de soi où l’image subjective se construit par la performance symbolique : on s’y montre compétent, vulnérable, engagé, clairvoyant, courageux — mais toujours valorisable.
Ce qu’on donne à voir : un sujet parfait… mais mort
La parole sur LinkedIn n’est pas sans sujet, mais elle est sans faille.
Sans ratage, sans équivoque, sans place pour le silence.
On n’y parle pas depuis l’inconscient, mais depuis une identité narrative optimisée :
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un storytelling de la résilience,
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une logique de “leçon tirée”,
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un alignement entre l’affect et le projet.
Le burn-out lui-même y devient bénéfique — tant qu’il peut s’intégrer dans une trajectoire cohérente et lisible.
Une jouissance bien habillée
Sur LinkedIn, on jouit d’être lu, liké, vu comme légitime.
Mais cette jouissance est subtile, socialement “propre”, habillée d’authenticité, d’humilité, de bienveillance.
Elle n’a rien à voir avec la parole nue, incertaine, souvent étrange, qui surgit dans une analyse.
Elle est scénarisée, sanitisée, reliée à un idéal de maîtrise.
La logique dominante n’est pas celle de l’échange symbolique, mais de la reconnaissance performative :
Je publie, donc je suis (visible, compétent, humain, valorisable).
Ce que LinkedIn nous apprend sur notre époque
Ce réseau est le miroir parfait du discours capitaliste appliqué au sujet :
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L’angoisse y est transformée en opportunité.
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Le ratage en rebond.
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Le symptôme en compétence.
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La solitude en réseau.
C’est un espace où le savoir ne s’élabore pas, il se déclare.
Où le manque est travesti en force.
Et où le sujet n’est pas divisé, mais profilé, narré, monétisé symboliquement.
Ce que cela nous dit
LinkedIn n’est pas qu’un outil.
C’est un miroir déformant du sujet contemporain, exposé à la norme, à la réussite, à l’optimisation de soi.
Ce qui ne s’y dit pas — le doute, le ratage, le silence, l’inassimilable — est laissé de côté, comme inutile.
Mais c’est peut-être là, dans ce qui ne se poste pas, que le sujet résiste encore.
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