Derrière le voile : le féminin et l’angoisse de la Loi

I. Introduction : Ce que cache le voile

Le voile ne couvre pas seulement un corps : il désigne un point de tension symbolique. Il ne dit pas seulement « je me retire », mais aussi : « regardez ce que je retire ». Et dans ce geste ambivalent se joue quelque chose de plus profond : le féminin.
Non pas « la femme » au sens biologique ou social, mais le féminin comme ce que la structure patriarcale ne parvient jamais à maîtriser tout à fait. Ce que Lacan nomme : ce qui n’est pas-tout.

Le voile, dans sa forme traditionnelle comme dans sa version 2.0, ne parle pas uniquement de pudeur, de foi ou d’identité.
Il dit l’angoisse face à la jouissance féminine, et la tentative symbolique (ou politique) de l’arrêter, de l’enfermer, de la nommer.

II. Le féminin comme excès : ce que les discours veulent contenir

Dans la plupart des traditions patriarcales, y compris monothéistes, le corps féminin est :

  • source de trouble (désir, pulsion, rivalité),

  • objet de fascination et de crainte,

  • porteur d’une jouissance opaque, que la Loi peine à symboliser.

Cette jouissance n’est pas illimitée. Mais elle est hors-Loi, au sens lacanien :

Elle n’est pas régulée par le phallus, ni traduisible dans les termes du pouvoir, ni cernable par le langage.

D’où la nécessité historique de :

  • voiler,

  • enfermer,

  • soumettre à la Loi.

Le féminin apparaît ainsi comme ce que la société tente de réduire, d’organiser, de mettre en ordre — sans jamais y parvenir pleinement.

III. Pourquoi contrôler les corps ?

Le corps féminin n’est pas seulement sexualisé — il est sacralisé, interdit, normé, examiné.

Dans l’ordre patriarcal :

  • Il doit être protégé (du regard, du viol, du désir),

  • Puis approprié (mariage, filiation, reproduction),

  • Puis réglementé (vêtements, gestes, voix, déplacements).

Mais pourquoi ?

Parce que le féminin, dans sa jouissance propre, échappe à la Loi phallique.
Et ce que la Loi ne peut symboliser, elle cherche souvent à effacer ou neutraliser.

Le voile n’est alors pas simplement une prescription religieuse. Il est une réponse à l’angoisse. L’angoisse devant ce qui échappe, ce qui résiste, ce qui déborde : la jouissance féminine, le désir du féminin, le non-savoir du féminin.

IV. Ce que dit Lacan : le féminin n’est pas-tout

Lacan l’a formulé ainsi :La femme n’existe pas.”

Ce qui veut dire :

  • Il n’y a pas de signifiant unique pour « la femme » dans le champ de l’Autre.

  • Le féminin ne se laisse pas totaliser, circonscrire, assigner.

  • Il est ce qui fait trou dans le discours du maître, et déséquilibre l’ordre symbolique.

Le voile, alors, est une tentative de refermer ce trou. De donner un contour là où il n’y a pas de totalité. De faire croire à une maîtrise là où il n’y a qu’opacité.

V. Malaise contemporain : entre hypersexualisation et repli

Notre modernité produit un paradoxe :

  • D’un côté, les corps féminins sont surdévoilés, marchandisés, optimisés, mis en spectacle.

  • De l’autre, ils sont revoilés, soustraits, placés sous le signe de la pudeur sacrée.

Ces deux logiques — exhibition capitaliste et retrait religieux — ont le même point de fuite :

le rapport au féminin comme excès, comme impossible à symboliser totalement.

Et dans les deux cas, c’est la subjectivité féminine qui en paie le prix :

  • soit en devenant image de désir sans intériorité,

  • soit en devenant symbole de vertu sans voix propre.

VI. Conclusion : le voile est un symptôme

Le voile n’est pas une simple pratique. Il est symptôme au sens psychanalytique :

  • Il condense un malaise dans la civilisation,

  • Il met en tension Loi, désir, jouissance, identité, regard,

  • Il témoigne d’un rapport impossible au féminin, que chaque société tente de résoudre par ses propres fictions.

Ce n’est pas à la psychanalyse de dire ce que doit faire une femme, ni si elle doit se voiler ou se dévoiler.
Mais elle peut entendre, dans le voile, ce qui se joue du côté du manque, du regard, et du silence.

Le voile est parfois un bouclier, parfois un drapeau.
Il est presque toujours un miroir tendu à ceux qui le regardent.

Par Prof.Santé™