
Chapitre 3 – Éduquer ou adapter ? Les dérives du coaching scolaire à l’ère de l’IA
L’éducation s’adressait jadis à un sujet en devenir. Aujourd’hui, elle semble s’adresser à un produit à optimiser.
Le savoir n’est plus présenté comme un champ à explorer, mais comme une ressource à maîtriser rapidement, efficacement, en vue d’un objectif : l’adaptation. Adaptation à l’école, à la performance, à l’entreprise, au monde.
Et avec l’essor des IA éducatives, des plateformes de coaching scolaire, des formations en ligne, cette logique d’ajustement fonctionnel se généralise : il ne s’agit plus de transmettre, mais de corriger, accélérer, standardiser.
Ce chapitre interroge ce que devient l’éducation quand elle cesse d’ouvrir un espace symbolique pour se transformer en maintenance cognitive.
Le savoir sans sujet
Les applications d’aide scolaire, les IA pédagogiques, les tutoriels YouTube, les plateformes de révision à la demande : tout est pensé pour accéder au savoir le plus vite possible, en sautant les détours, les lenteurs, les trous.
Mais apprendre, ce n’est pas accumuler des données. C’est se transformer dans la rencontre avec un savoir. C’est désirer savoir, non pas simplement obtenir une réponse.
Dans ce monde d’“efficacité pédagogique”, l’élève n’est plus un sujet de l’inconscient : il devient un utilisateur en optimisation continue.
Privatiser l’éducation en douceur
Derrière l’écran, ce ne sont plus seulement les professeurs qui accompagnent l’élève, mais une multitude d’intervenants extérieurs, souvent privés, chargés d’optimiser sa réussite. On ne parle plus ici de soutien scolaire classique, mais de “coaching éducatif” ou d’“accompagnement à la performance”. Ces services promettent de “rebooster la motivation”, de “retrouver confiance”, ou d’“améliorer l’organisation personnelle”.
Mais que nous disent-ils de notre époque ?
Que l’éducation devient un marché. Et que le symptôme de l’échec scolaire ou du désengagement n’est plus abordé comme un message à entendre, mais comme un problème de rendement à corriger. On ne s’interroge plus sur ce que l’enfant traverse, mais sur les outils à activer pour qu’il redémarre. Comme un appareil mal configuré.
Prenons un exemple : certaines plateformes proposent désormais un “coaching scolaire en ligne” via visio et intelligence artificielle, couplé à des tableaux de bord pour les parents. L’enfant y suit des séances hebdomadaires pour “débloquer ses croyances limitantes”, pendant que les parents reçoivent des rapports de motivation et de progrès. Le tout pour un tarif mensuel, bien sûr.
Dans cette logique, la parole se retire, au profit de l’évaluation constante. Il ne s’agit plus d’éduquer un sujet, mais d’ajuster une trajectoire, comme on ajusterait un algorithme. Le marché de l’éducation se loge ici dans une faille : celle laissée ouverte par le doute parental, l’angoisse de l’échec et la croyance que tout peut se résoudre — à condition d’acheter la bonne solution.
L’IA éducative : fausse neutralité, vraie logique de marché
Les applications d’intelligence artificielle dédiées à l’apprentissage ne sont pas neutres.
Elles s’appuient sur des bases de données statistiques, des logiques d’optimisation comportementale, des indicateurs de performance.
Elles n’intègrent ni le désir, ni le manque, ni le temps subjectif de l’enfant.
Elles forment un système réactif, prescriptif, adaptatif — mais jamais interprétatif.
Elles ne posent jamais la question fondamentale :
Que cherche cet enfant en n’apprenant pas ?
Qu’est-ce qui parle dans son “blocage” ?
Quelle part de sa parole est en jeu dans son “échec” ?
Réintroduire du symbolique
Éduquer, ce n’est pas colmater. Ce n’est pas “remettre sur les rails”.
C’est soutenir un chemin, parfois non linéaire. C’est tolérer l’échec, la perte, le détour. C’est introduire un savoir qui transforme le sujet, pas seulement son avenir professionnel.
Si nous continuons à adapter les enfants à un monde malade, alors c’est l’éducation elle-même qui devient pathologique.
Par le Prof.Santé™