Quand le symptôme ne peut être entendu, il est supprimé. Mais ce que l’algorithme efface, il le prépare à revenir.

Effacer le symptôme : AD Laurent, TikTok et la gouvernementalité algorithmique

Ce texte prolonge la réflexion entamée dans notre article : [Quand l’algorithme gouverne sans Loi] Sur la disparition du sujet dans les environnements numériques.

Un influenceur au discours toxique voit son compte TikTok supprimé.
La demande émane d’une ministre. L’exécution, d’une plateforme privée. Mais le fait mérite plus qu’un commentaire moral : il est l’indice d’un régime de pouvoir sans procès, sans parole, sans division. Un pouvoir qui ne juge pas : il efface.

I. Scène inaugurale : disparition sans jugement

Le compte TikTok d’AD Laurent, figure masculine controversée et performative de l’“influence”, a été supprimé après un signalement public de la ministre Aurore Bergé. Aucune procédure judiciaire. Aucun échange contradictoire. Juste un clic sur “supprimer” — et le vide numérique.

À première vue, une victoire.
Mais que s’est-il vraiment passé ? Et surtout : que s’est-il refusé là, au nom d’une efficacité sociale ?

II. Gouvernementalité algorithmique : un pouvoir sans sujet

Ce que révèle cette suppression, ce n’est pas la victoire du progrès sur la barbarie. C’est la montée d’une rationalité post-juridique, ce que la philosophe Antoinette Rouvroy appelle la gouvernementalité algorithmique.

Un pouvoir sans visage.
Une norme sans loi.
Une action sans parole.
Une exécution sans contradiction.

Ce qui est jugé ici, ce n’est pas le contenu en tant que tel, ni même le sujet. Ce sont des signaux, des indices corrélés, des risques réputationnels. Et c’est cette logique préventive, non symbolique, qui décide de la disparition.

III. La disparition du lieu du discours

Dans cette scène, aucun signifiant n’est repris. Le discours d’AD Laurent n’a pas été analysé, nommé, interrogé.

Il a été classé.
Puis neutralisé.

Ce n’est plus le droit, c’est la gestion du flux.

Et ce que cette suppression montre surtout, c’est ceci :

le symptôme n’est plus soutenable.
Il n’est ni toléré, ni traduit.
Il est expulsé comme bug.

Dans le miroir de l’interface, le sujet se réinstalle. Ce n’est pas un retour de parole, c’est un retour d’image.

IV. Retour du même : AD Laurent 2.0

Mais ce qu’on n’a pas détruit, c’est la structure qui produit ce type de figures. La machine qui le rend visible. Le désir social qui l’alimente. Le vide symbolique qui laisse place à la jouissance autoritaire.

Ce qu’on supprime revient — sous un autre nom.
Plus insidieux. Plus compatible.
Plus difficile à dire.

L’algorithme ne connaît pas la division subjective.
Il connaît les profils, les occurrences, la visibilité.

Et ce que l’on croit éliminer, on ne fait que le rebooter.

V. Ce qui disparait vraiment : le sujet

Ce n’est pas AD Laurent qui a été réduit au silence. C’est la possibilité d’en parler autrement. De nommer ce qu’il incarne. De dire ce qu’il soulève : du côté des fantasmes, du sexuel, de la violence, du masculin en crise.

Ce qui disparaît, ce n’est pas lui. C’est le lieu où son discours aurait pu être traversé.

Par 404.erreur