Entretien avec Le Patron : “Le soin mérite autre chose que des slogans”

Couverture de l’interview exclusive du Patron du blog Tokyo Santé dans Tokyo Insider.
Un entretien sur le soin, le symptôme et ce qu’il reste du style.

 

Propos recueillis par Kei Nakamura – pour Nikkei Vision, rubrique Société & Civilisation

Il parle lentement, choisit ses mots. Costume sobre, montre discrète, accent français à peine perceptible. Dans un salon aux murs tendus de lin gris, entre deux verres de saké Junmai servi à température ambiante, l’homme que l’on appelle simplement “Le Patron” a accepté de répondre à nos questions. Fondateur du blog Tokyo Santé, observateur discret des dérives contemporaines du soin, il revient pour Nikkei Vision sur ce qu’il appelle « le symptôme d’un autre discours ».

Nikkei Vision : Tokyo Santé est un blog critique, parfois satirique, souvent analytique. Pourquoi ce nom ?

Le Patron : Parce que le nom contient déjà une tension. Tokyo renvoie à la modernité, à l’efficacité supposée du système — mais aussi à son anonymat, à sa vitesse. Santé, c’est un mot ancien, presque naïf. Ensemble, ils forment un lieu impossible, un oxymore : le soin dans un monde qui l’oublie.

NV : Vous critiquez une certaine marchandisation du soin. Est-ce un problème spécifique au Japon ?

LP : Pas du tout. C’est global. Mais ici, le soin s’insère dans un discours très particulier, mêlé de bienveillance performative, de dispositifs numériques, et d’esthétique Instagram. Ce n’est pas de la malveillance — c’est pire : c’est de la neutralité fonctionnelle, sans faille ni sujet.

 

Le patron de Tokyo santé sur la chaîne Nikkei

NV : Vous utilisez des personnages fictifs pour animer le blog : Dr Ma$kh, 404.erreur, Micro-L, Le Patient… Pourquoi passer par la fiction ?

LP : Parce que la vérité passe mieux en costume. Un personnage, c’est une interface. Et dans un monde saturé d’images et de storytelling, autant jouer avec le théâtre plutôt que le subir. Le réel, aujourd’hui, demande un peu de fiction pour apparaître.

NV : Qui est “Le Patron” ? Vous-même ? Une parodie ? Une figure d’autorité ?

LP (sourit) : Une construction. Une mise en forme. Un certain rapport au style, au contrôle, à l’éthique. C’est une figure paternelle vidée de sa violence, un surmoi en costume qui préfère le doute à l’injonction. Il ne dirige pas, il veille.

NV : Que souhaitez-vous transmettre à travers Tokyo Santé ?

LP : Rien à transmettre. Mais faire entendre. Des sons dissonants. Des silences trop bien habillés. Des affects contenus. Je ne crois pas à la communication. Je crois à l’écho.

NV : Un mot pour conclure ?

LP : Oui. Qu’on cesse de nous vendre le soin comme on vend une crème hydratante. Le symptôme n’a pas besoin de coach. Il a besoin de lieu.