Ce n’est plus l’Autre qui regarde — c’est l’algorithme qui nous renvoie à l’image.

Le corps comme business plan : figures d’un malaise contemporain

Dans le discours néolibéral, tout peut devenir capital.

Y compris — et surtout — le corps.
Ce n’est pas une métaphore : de plus en plus d’individus, notamment des jeunes femmes, transforment leur image corporelle en levier économique, en identité monétisable, en stratégie d’ascension sociale. À travers les réseaux sociaux, le corps devient interface : visible, désirable, rentable.

Ce phénomène n’est pas marginal. Il est structurel. Il exprime une logique civilisationnelle : celle d’un monde qui ne tolère plus ni l’opacité, ni l’inutile, ni le retrait. Un monde qui pousse chacun à faire de lui-même un projet, une vitrine, un produit. Le malaise contemporain se niche ici : là où le corps, autrefois lieu du mystère, devient support d’optimisation.

Du corps parlant au corps rentable

Le corps a toujours été porteur de signification. Freud, puis Lacan, nous ont appris qu’il est traversé par le langage, marqué par le refoulé, organisé par le désir. Il est parlant, dans ses symptômes, ses douleurs, ses postures.

Mais dans l’espace numérique, ce corps devient visuel, mesurable, convertissable. Il n’est plus écouté : il est scruté, liké, retouché, filtré. Il ne dit plus rien : il attire. Il vend.

Jouissance optimisée, subjectivité effacée

On assiste à un renversement silencieux : ce n’est plus le symptôme qui fait signe, c’est la jouissance qui se performe. Non plus comme surgissement involontaire, mais comme contenu stratégique. Le “cul” n’est plus obscène. Il est optimisé. Coaché. Converti.

Il s’agit d’une jouissance sans division, sans parole, sans opacité. Une jouissance plate.
Et c’est là que se loge le vrai malaise : dans l’effacement du sujet. Le sujet désirant, manquant, divisé, est remplacé par une image-objet performative, gouvernée par les logiques de l’algorithme.

Quels enjeux pour les adolescents ?

Ce modèle du corps comme vitrine n’est pas sans effets sur les adolescents — filles comme garçons — qui grandissent aujourd’hui dans un monde où l’image est devenue centrale dans la construction du moi.
Le miroir n’est plus celui de la salle de bain. C’est celui d’Instagram, de TikTok, de Snapchat.
Le regard de l’autre passe désormais par des indicateurs de performance sociale : likes, vues, abonnés.

Ces dispositifs numériques produisent de nouvelles identifications :
non plus issues du discours parental, du roman familial ou du champ symbolique classique, mais forgées dans l’imaginaire du marché.
On ne veut plus être sujet : on veut être marque.
On ne devient pas : on s’affiche.

Dans ce contexte, la clinique ne peut pas se contenter d’une critique du numérique. Elle doit revenir à ce qui, chez le sujet, résiste encore à l’image.
Non pas pour rejeter la modernité, mais pour offrir un espace où une autre parole puisse se formuler, au-delà des algorithmes et des performances corporelles.

Par Prof. Santé™