Le symptôme en kit™ : quand les applications prennent soin… sans sujet

Le Prof. Santé™ croise la foule des âmes apaisées. Plus personne ne parle. Tout le monde se mesure.

À l’ère du bien-être connecté, la souffrance ne se dit plus : elle se mesure, se trace, se régule. Les applications comme Calm™, Happify™, MyMental™ ou leurs multiples déclinaisons promettent un accès simplifié à la santé mentale : méditations guidées, exercices de respiration, modules de psychologie positive, tableaux de bord émotionnels… Le tout, dans le creux de la main.

Mais que soigne-t-on exactement ? Et surtout : qui est soigné dans ce dispositif ?

1. Le soin comme interface : une économie sans négatif

Dans ces applications, le soin est conçu comme un service fluide, sans accroc, sans réel. Le sujet n’est plus divisé, il est client. Il n’est plus en conflit, il est en quête d’amélioration personnelle.

Le symptôme n’est plus adressé à un Autre, mais transformé en signal numérique à réguler. On n’interprète pas : on ajuste, on optimise, on notifie.
C’est le modèle même du discours capitaliste appliqué au psychisme : pas de perte, pas de manque, mais un cycle sans fin de correction et de performance émotionnelle.

2. Tracking émotionnel et auto-surveillance de la jouissance

L’utilisateur est invité à s’auto-évaluer quotidiennement : humeur, niveau de stress, fatigue, sommeil. Ce n’est plus la parole qui structure, mais le retour graphique : courbes, smileys, jauges de bien-être.

Ce dispositif produit une forme de jouissance douce, captée dans le circuit du Moi. Il ne s’agit pas de transformation, mais de maintenance du soi : rester fonctionnel, productif, équilibré — sans jamais interroger ce qui ne va pas.

On ne traverse plus une crise ; on la contourne en cliquant.

3. Le symptôme comme produit dérivé

Ce qui était auparavant point d’énigme, de division, de demande, devient matière première d’un marché. La tristesse devient « baisse de motivation », l’angoisse un « manque de régulation ». Chaque souffrance est soluble dans une catégorie UX-friendly.

La clinique laisse place à la logique du produit :

« Vous vous sentez stressé ? Essayez notre parcours 7 jours pour reprendre le contrôle. »

La temporalité du transfert est remplacée par celle de l’abonnement mensuel. L’inconscient, lui, reste sur le pas de la porte.

4. L’objet petit a : promesse de satisfaction, moteur de l’addiction douce

Ces applications fonctionnent comme de véritables opérateurs d’objet a. Elles promettent un manque comblé, un soi apaisé, un mieux-être à portée de clic — mais ce mieux-être reste toujours à venir, jamais tout à fait atteint.

Tu fais une session, tu obtiens une pastille « calme », une courbe « positive », mais tu n’es pas transformé. Alors tu recommences.

C’est le ressort même du fantasme : « Si je continue ce programme, je vais atteindre cette sérénité parfaite. »

L’objet a ici, ce n’est pas une chose, mais l’interface elle-même : elle séduit, attise, échappe. C’est une jouissance en boucle, sans castration, sans réel.

5. Le discours capitaliste : un circuit sans perte

Lacan le dit : le discours capitaliste est un discours qui court-circuite le manque. Il promet que toute souffrance peut être résolue sans sujet, sans division, sans transformation.

Les applications de bien-être en sont l’incarnation parfaite :

  • Le sujet ($) devient utilisateur (User ID),

  • Le savoir (S2) devient contenu à consommer,

  • Le maître (S1), c’est l’algorithme,

  • L’objet a circule comme récompense.

Tout est fluide, mais rien ne s’adresse à un Autre. C’est un discours sans lien.

6. Le lien social remplacé par le feedback

Le transfert est dissous dans le feedback UX. L’application parle, félicite, relance, mais elle ne reçoit rien. Aucun Autre n’est convoqué.

Ce n’est plus une parole, mais une auto-régulation numérique. L’utilisateur est seul face à un miroir qui clignote.

Ce que produit ce lien, ce n’est pas de la parole partagée, mais une solitude algorithmique, dépourvue d’altérité.

7. Les lathouses : lieux d’oubli du symptôme

Ces interfaces peuvent être comprises comme des lathouses modernes : dispositifs d’oubli du réel. On ne s’y souvient pas de ce qui fait trou ; on y fonctionne malgré tout.

Elles organisent un refoulement opérationnel, une mise en veille du symptôme, sans le traverser.

Elles n’ouvrent pas un espace psychique ; elles préservent le confort comportemental.

Conclusion : Le soulagement sans sujet

Ces applications n’ont pas pour ambition de faire advenir du sens. Elles visent un soulagement rapide, mesurable, monétisable.
Elles incarnent un moment du discours contemporain où le soin est absorbé par le service, où la parole cède devant la donnée, et où le symptôme devient une ligne de tendance à corriger.

Elles ne créent pas du lien. Elles offrent une interface de substitution, un environnement prévisible, une consolation sans division.

Et pendant ce temps-là, le sujet, lui, continue d’appeler. Mais plus personne n’écoute.

Par Prof. Santé™