
Le voile 2.0 : quand le symptôme se met en ligne
I. Introduction
Il fut un temps où le voile était le signe d’une soustraction : retrait du regard, mise à l’écart du désir, soumission au commandement divin.
Aujourd’hui, il se déploie au contraire dans l’espace public comme objet hyper-visible, saturé de sens, monétisable, fétichisé.
Ce qui se dit là n’est pas une trahison de l’islam.
C’est le symptôme de notre époque, où même le retrait devient signal, où le silence devient contenu, où le manque devient profil.
II. Le voile comme symptôme de l’époque : entre Loi et like
Autrefois, le voile faisait signe vers une Loi symbolique : celle d’un Dieu intransigeant, d’un Nom-du-Père séparateur, d’un manque assumé.
Aujourd’hui, il s’inscrit dans le champ de l’image et de la communication numérique :
Avant | Maintenant |
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Soumission au divin | Affirmation de soi |
Retrait du regard | Captation du regard |
Interdit de la jouissance | Jouissance du discours religieux |
Loi transcendantale | Valeur de distinction marchande |
Dans l’économie de l’attention, le voile devient objet a social :
il fait désir, fait parler, fait controverse, fait image.
IV. L’adolescente voilée hyper-connectée : figure paradoxal

On la voit dans le métro, dans les stories, dans les commentaires TikTok :
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Elle est voilée, mais maquillée, posée, stylisée.
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Elle prône la pudeur, mais met en scène son refus de l’exhibition.
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Elle poste sur sa foi, tout en taguant des marques, répondant aux haters, dopée au like.
Il n’y a là aucune contradiction vécue, seulement une logique de subjectivation contemporaine : Afficher ce que l’on cache, montrer ce que l’on soustrait.
C’est le voile 2.0, version filtrée, compatible, cliquable.
IV. Le capitalisme récupère tout — même le refus
Le voile s’est inséré dans les logiques du marché :
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Nike vend des hijabs de sport,
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H&M sponsorise la “modest fashion”,
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Des influenceuses vivent du “halal marketing”, entre skincare et versets.
Le discours du capitalisme — que Lacan nomme comme discours sans faille, sans sujet, sans manque — absorbent tout : même ce qui le contredit.
Tu veux résister au marché ?
Le marché te vend ta résistance en édition limitée.
V. De la Loi au signal : perversion symbolique ou mutation structurelle ?
Ce retournement n’est pas anodin. Il produit une modification du rapport au manque.
Ce n’est plus le Dieu d’Abraham, silencieux, qui demande le sacrifice du fils.
C’est un Dieu en story, en story épinglée.
Ce n’est plus le Nom-du-Père, qui interdit et divise.
C’est le Nom-de-Profil, qui montre et identifie.
Le voile ne sépare plus — il connecte, signale, marque une présence.
Il devient interface entre le sujet et le monde.
VI. Jouissance de l’Autre : regard et provocation
C’est ici que le voile touche à la perversion structurale :
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Il jouit du regard de l’Autre, qu’il soit approbateur ou hostile.
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Il interroge la Loi, tout en s’y référant sans cesse.
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Il provoque, inquiète, exige une réponse.
Le voile contemporain n’est plus pudeur, il est adresse.
Il dit : “Regarde-moi me soustraire.”
Il jouit du regard… quel qu’il soit.
VII. Conclusion : le voile est un miroir
Le voile 2.0 n’est pas une simple tradition. C’est un miroir tendu à la modernité :
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À sa logique de visibilité obligatoire,
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À son effacement de la Loi symbolique,
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À son culte de la performance identitaire.
Il ne s’agit pas de juger, mais d’écouter ce que ce symptôme dit :
Que reste-t-il du sujet, quand même son retrait devient contenu ?
Que devient le désir, quand la pudeur devient stratégie de distinction ?
Et que vaut la foi, quand elle s’exhibe dans un monde où tout se consomme ?
Le voile, aujourd’hui, n’est plus hors système. Il est le signe de son point de torsion.
Par 404.Erreur
Pour aller plus loin
Si ce texte vous a interpellé, vous pouvez prolonger la réflexion avec l’article de mon collègue Prof. Santé™ : ➡️ “Derrière le voile : le féminin et l’angoisse de la Loi”