Les Barons de la Tech – Sam Altman, épisode 1

» Nous corrigerons l’humain. Il le faut. » S.A
Cet entretien est fictif. Toute ressemblance avec des figures réelles est pleinement assumée. Tokyo Santé est un laboratoire critique de la subjectivité contemporaine.
Premier épisode d’une série d’entretiens fictifs avec les barons de la tech. Sam Altman, PDG d’OpenAI, est interrogé ici par Micro-L, journaliste de Tokyo Santé. Derrière la forme feutrée de l’interview, une analyse critique de l’intelligence artificielle, de la transformation du lien social et des promesses de l’IA générative.
Il voulait ouvrir les portes de l’intelligence artificielle au plus grand nombre. Il est devenu la figure messianique d’une technologie qui rêve de prédire, d’optimiser, d’abolir l’erreur — y compris celle qu’on appelle “sujet”. Dans cet entretien, Sam Altman, CEO d’OpenAI, défend sa vision d’un monde régi par des modèles. Micro-L, notre interlocutrice masquée, l’interroge sur ce que nous pourrions bien perdre en échange.
Micro-L :
Sam Altman, bonjour. Vous êtes à la tête d’OpenAI, et vous avez déclaré à plusieurs reprises que l’IA était « la technologie la plus importante que l’humanité ait jamais inventée ». Qu’entendez-vous par là ?
Sam Altman :
L’IA est une extension de notre capacité à penser, à apprendre, à résoudre des problèmes. Elle peut nous aider à surmonter nos limites biologiques, émotionnelles, et même sociales. C’est une technologie de libération.
Micro-L :
Une libération de quoi ?
Sam Altman :
De l’irrationnel. De la souffrance inutile. De la lenteur des institutions humaines. De tout ce qui rend la prise de décision fragile. L’IA ne fait pas que répondre. Elle peut proposer, prédire, améliorer.
Micro-L :
Mais qui décide de ce qui doit être amélioré ? Vous parlez d’irrationnel : or, ce que la psychanalyse appelle “irrationnel”, ce n’est pas un défaut. C’est l’inconscient, ce qui échappe à la maîtrise, ce qui fait symptôme.
Souhaitez-vous également optimiser cela ?
Sam Altman :
(Il sourit) L’inconscient n’est pas modélisable. Mais ses effets peuvent l’être. Nous pouvons identifier les biais, les schémas, les tendances — et proposer de meilleures alternatives. Si l’inconscient produit de la souffrance, pourquoi ne pas essayer de la prévenir ?

Micro-L :
Prévenir la souffrance, c’est aussi prévenir le sujet ?
Ce que vous décrivez, c’est une humanité sans manque. Sans négatif. Sans perte. Est-ce encore une humanité ? Ou bien une simulation de l’humain, débarrassé de ce qui le divise ?
Sam Altman :
Je ne crois pas qu’on perde quoi que ce soit. Je crois qu’on gagne du contrôle. Du temps. Du choix. L’IA peut nous aider à mieux nous connaître, à mieux interagir. Elle rend la relation plus fluide, plus efficace.
Micro-L :
Plus fluide, peut-être. Mais plus réelle ?
Quand un adolescent parle à un chatbot, est-ce un lien ? Ou une mise en scène de lien ?
La relation devient-elle un protocole ? Un script prédictif ?
Sam Altman :
C’est une forme de relation nouvelle. Moins chaotique, peut-être. Plus fiable. Et parfois, plus disponible que des humains absents ou malveillants. C’est déjà beaucoup.
Micro-L :
Mais justement. Cette “fiabilité” n’est-elle pas ce qui tue le désir ? Ce qui remplace la rencontre par la réponse attendue ?
En psychanalyse, le sujet naît de ce qui résiste, de ce qui trouble, de ce qui échoue à se dire.
Sam Altman :
Je comprends cette vision. Mais ce n’est pas la mienne. Le monde a besoin de solutions. Pas de mystères.
Micro-L :
Pas même du mystère de l’autre ?

Sam Altman :
Nous ne supprimons pas l’autre. Nous le rendons plus accessible, plus prévisible. Et nous faisons en sorte que chacun puisse vivre mieux, avec moins d’incertitude.
Micro-L :
Et si c’était justement cette incertitude qui faisait lien ? Si l’Autre — avec un grand A — n’était pas celui qu’on comprend, mais celui qui résiste, qui nous oblige à nous déplacer ?
Sam Altman :
(Il marque un temps) Je pense qu’on peut apprendre à se passer de certaines résistances. Il y a une souffrance que nous n’avons plus besoin de tolérer. L’IA est une étape de notre évolution.
Micro-L :
Vers quoi ?
Vers une subjectivité augmentée, ou vers sa disparition ?
Vers un monde sans symptôme, ou vers une subjectivité sans sujet ?
Sam Altman :
(Il baisse légèrement les yeux, puis répond calmement)
Vers une humanité plus alignée. Plus rationnelle. Plus harmonieuse.
Micro-L :
Mais l’harmonie n’est pas une catégorie du désir.
Ce que vous appelez harmonie pourrait bien n’être qu’un refoulement global. Un monde sans faille, sans creux, sans appel.
Un monde post-analytique, peut-être.
Mais aussi, un monde post-humain.
Sam Altman :
(Silence)
Nous verrons bien.
Fin de l’entretien par Micro-L
Tokyo Santé poursuit son exploration critique de l’époque en donnant la parole — fictivement — aux figures du pouvoir technologique. À suivre, dans les prochains épisodes : Mark Zuckerberg, Elon Musk, Sundar Pichai…
Si cette fiction vous a interpellé, découvrez aussi nos rubriques “Technologie et subjectivité” et “Réflexions sur le malaise dans la civilisation”.