Épisode 1 : Quand l’anarchisme se vend au prix du caviar

Le doigt d’honneur du symptôme à la confusion idéologique
Tokyo, il est un lieu où l’anarchisme s’achète à 18,000¥ la séance, où le soin est optimisé comme un plan marketing, et où l’éthique… est disponible sur devis.
Il était une fois un ostéopathe éclairé, qui se disait anarchiste. Dans son cabinet épuré — entre deux citations de Bakounine recyclées en slogans de start-up — il recevait des expatriés premium à tarif premium.
18,000¥ la séance d’ostéopathie dissidente. L’insoumission n’a pas de prix, mais elle a un coût.
Car l’anarchiste moderne n’abolit pas le capital : il le facture avec le sourire.
En coulisses, tout est géré comme chez McKinsey :
- Optimisation des flux de patientèle,
- Segmentation marketing entre « locals » et « internationals »,
- Tarifs différenciés selon la mutuelle et le pouvoir d’achat,
- Gestion RH de la « psy salariée », transformée en simple levier de rentabilité (le symptôme ? Oui, mais selon grille tarifaire, s’il vous plaît).
Le soin est devenu une expérience client.
Le transfert ? Un indicateur de performance.
L’écoute ? Une option premium, non incluse dans la formule de base.
Au royaume de l’inconscient libéralisé, même la souffrance psychique doit justifier son business plan.
Sinon : « Next client, please. »
La logique néolibérale du soin ne s’arrête pas là.
Elle exige des justifications concrètes : chiffre d’affaires à atteindre, rentabilité à démontrer, visa de travail à renouveler — car ici, l’éthique doit passer par la case comptabilité.
La passion de soigner, d’accompagner ?
Oui, mais d’abord, montrez votre tableau Excel.
Le plus ironique dans tout ça ?
Ce grand ordonnateur du soin anti-système a choisi comme emblème… son propre nom : K.K. Rocheteau.
Petit point juridique, pour celles et ceux qui n’auraient pas encore croisé ce sigle ésotérique : une K.K. (abréviation de Kabushiki Kaisha) désigne une société japonaise par actions. C’est la structure la plus classique pour créer une entreprise au Japon — de Toyota à la boulangerie du coin —, mais aussi la plus « corporate », au sens fort du terme : capital, responsabilité limitée, statuts rigides. Dans notre cas, il s’agit donc d’un soin organisé sous la forme d’une société commerciale, où la douleur se dépose dans un cadre légal optimisé, et les honoraires s’inscrivent dans une logique d’entreprise. Une forme juridique parfaitement compatible avec un certain… anarchisme de marché.
Le « Nom-du-Père » transformé en société commerciale : révolution managériale ou autoportrait involontaire du cynisme contemporain ?
Ainsi va le monde :
- L’anarchiste devenu startuper,
- La psy devenue vendeuse de forfaits d’écoute,
- Le soin devenu service à rentabiliser.
La dissidence est morte, vive la dissidence rentable !
Note d’auteur — Dr Ma$kh
On peut se dire anarchiste, aimer Bakounine et facturer 18 000 yens la séance.
Pourquoi pas.
Mais alors il faut accepter qu’un masque vienne un jour toquer à la porte, non pas pour dénoncer — mais pour interpréter.
Ici, je n’accuse personne. Je lis une structure.
Et si elle fait rire, c’est qu’elle dit quelque chose de vrai. Trop vrai, peut-être.