Réflexions sur le soin marchandisé et ses effets sur la subjectivité
Le soin parental s’enveloppe aujourd’hui de douceur algorithmique. À travers les associations, les réseaux sociaux, les recommandations implicites, une norme se dessine — sans bruit, sans débat. Ce texte interroge la structure qui soutient cette bienveillance, et ses effets sur le sujet.

La maternité 2.0 : connectée, mesurée, optimisée. L’illusion d’un soin sur-mesure qui masque la production d’un modèle unique.
par Prof. Santé™
Quand une seule voix organise le lien social, ce n’est plus du soin. C’est un discours dominant.
1. Du soin au dispositif
Dans certaines métropoles — et peut-être plus encore dans les communautés francophones comme Tokyo —, le soin psychique s’adosse à des initiatives associatives centrées sur la parentalité et le soutien aux mères. Sous couvert de bienveillance, ces structures prennent parfois la forme de dispositifs, au sens où les entendait Michel Foucault :
Un ensemble de discours, de pratiques, de normes implicites et d’outils qui configurent la manière dont un champ est vécu, pensé, et administré.
Ici, le soin n’est plus seulement une réponse à la souffrance. Il devient un système d’encadrement du lien social, une manière d’organiser la parole, de définir les bons parents, les bons professionnels, les bonnes manières de “prendre soin”.
2. Instagram, Facebook et gouvernementalité douce
Mais ce dispositif ne se limite pas aux ateliers, formations et rencontres en présentiel. Il s’étend dans l’espace numérique à travers Instagram, Facebook, newsletters, visuels “inspirants”, et autres formes de diffusion affective.
Des photos d’ateliers, des citations de Winnicott ou de Dolto, des stories mettant en scène des pratiques éducatives valorisées.
Ce n’est pas une communication neutre. C’est un agencement discursif qui modèle la perception du soin.
On assiste alors à un phénomène bien décrit par Foucault : celui de la gouvernementalité douce, où le pouvoir ne s’exerce plus par la contrainte, mais par l’encadrement affectif, visuel, discursif des conduites.
3. Le pouvoir des nudges
À l’intérieur de ces dispositifs, on trouve souvent ce que Thaler et Sunstein ont conceptualisé sous le nom de nudge — littéralement : un petit coup de coude.
Un nudge oriente un comportement sans l’imposer : il façonne le choix en donnant l’illusion de la liberté.
Exemples concrets dans ce contexte :
-
Une liste de professionnels “recommandés” sans critères transparents, mais présentée comme une évidence.
-
Une story Instagram qui valorise les “bons parents” qui participent aux ateliers de l’association.
-
Une communication publique qui fait de certaines pratiques éducatives le modèle implicite, sans jamais dire qu’il existe d’autres voies.
On ne vous dit pas quoi faire. On vous montre “le bon chemin” — avec douceur, bienveillance, sourire.
4. Ce que cela fait à la subjectivité
Ces mécanismes ne sont pas neutres. Ils produisent des effets psychiques :
-
Ils génèrent de la norme sous couvert de liberté.
-
Ils invisibilisent les voix dissonantes.
-
Ils installent l’idée qu’il existerait une seule manière éthique, saine, sensible d’être parent ou professionnel.
Le symptôme devient alors ce qui gêne la bonne marche du récit collectif.
Il n’est plus écouté dans sa singularité, il est reconverti en “problème à solutionner”, en “manque de compétences parentales”, en “retard dans l’alignement”.
5. Une question d’éthique, pas d’intention
Il ne s’agit pas de pointer du doigt les individus. Ce ne sont pas les intentions qu’il faut interroger, mais la structure dans laquelle elles prennent sens.
Dès lors qu’une association, même locale, détient une position centrale dans la production symbolique du soin, il devient nécessaire d’interroger ce qui se normalise, ce qui se prescrit, ce qui s’exclut — parfois sans bruit.
6. Le besoin d’un dehors symbolique
Quand tout devient soin, plus rien ne soigne.
Quand toute parole est cadrée, la parole symptomatique n’a plus d’espace.
Il faut réouvrir ces marges où l’angoisse peut se dire sans solution, où le parent peut ne pas savoir, où le professionnel peut ne pas s’aligner.
En guise de conclusion
Quand Instagram devient thérapeutique, et que la parentalité s’affiche en story, il devient urgent de rappeler que le sujet humain n’est pas un être à calibrer, mais une énigme à écouter.